Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire
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Langue de lecture | 🇫🇷 |
Âge du lecteur | 27 |
Pages (Papier) | 239 |
De quoi ça parle ?
C’est en rédigeant ce rapport que je découvre qui est Jean-Paul Demoule, un archéologue et professeur à l’université de Paris I, spécialisé en néolithique. Le thème est simple à cadrer : que savons-nous du néolithique, de la préhistoire, et quels éléments sont mal perçus du grand public ?
Tout au long du livre, j’ai été passionné par cette présentation de la révolution néolithique, et ses implications jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est techniquement pas de “l’Histoire” puisque datant d’avant l’écriture, mais c’est sans nul doute le livre le plus intéressant que je n’aie jamais lu dans cette catégorie ! Les archéologues ne sont pas restés les bras croisés, on en sait bien plus que ce le peu qui est avoué dans les cours scolaires. Livre à mettre entre toutes les mains.
Certaines idées de la culture populaire sont petit à petit corrigées dès ici. Les chasseurs-cueilleurs savaient déjà prendre soin des plantes. La question est plutôt “pourquoi a-t-on fait ça ?”. Cette vidéo du vortex avec DirtyBiology a été mon point d’entrée sur le sujet.
La réponse est “c’est compliqué”. Même si, petit à petit, on avait la technologie pour le faire, l’effort était quand même bien plus grand. Par exemple, il fallait surveiller ses bêtes, stocker le grain. Le protéger des rongeurs par exemple en domestiquant le chat, et plein d’autres. Quand la faune et la flore sont abondantes, pourquoi se donner autant de mal ? Ensuite, il faut se sédentariser. Construire des maisons dures. Au début, ce fût de grandes maisons abritant plusieurs familles et leurs animaux. Un peu comme les fermes traditionnelles jusqu’au XXe siècle. Le tout, en hameaux, tous les 3-4 km. D’avis personnel, j’imagine que ce fût un choix pour être suffisamment loin des voisins pour ne pas les entendre, mais assez proches pour pouvoir troquer avec eux. Malheureusement, un tel étalement ne fonctionne pas à l’infini… Ainsi, quand le néolithique atteint l’atlantique, la pression se fait un peu ressentir. D’ailleurs, j’y ai aussi l’existence de nouvelles plantes. Le blé et l’orge ont été importés du proche-orient. Chèvres et moutons aussi. Et même si on avait déjà des boeufs et sangliers en Europe à l’époque, ce sont quand même des espèces déjà domestiquées qui ont été amenées avec les agriculteurs. La vesce et la gesse sont restées des plantes sauvages.
Demoule ne manque pas de parler du reste du monde, avec l’exemple de la téosinte cultivée vers le maïs en amérique. En parallèle, il évoque l’invention des outils, des religions, et l’importance de la sexualité, féminine principalement, dans celles-ci.
J’ai aussi eu droit à un petit panthéon celte :
- Taranis, dieu du tonnerre
- Épona, déesse à cheval
- Cernunnos, à la ramure de cerf
- Lug, associé à Mercure, qui a donné son nom à Lugdunum, Lyon
- Esus, Semertrios et Tarvos Trigaranus
Ca me donne le vertige que des panthéons entiers aient disparu dans le gouffre du temps. Le monothéïsme est arrivé bien plus tard. Un des chapitres qui a le plus retourné ma conception du néolithique est “Qui a inventé l’art”. Je n’ai pas grand chose de surligné, car sinon j’aurais pu tout aussi bien surligner tout le chapitre. Des coquillages sont utilisés comme bijoux dès -80.000. Les grottes sont décorées. Les empreintes de mains sont apposées. Des statuettes de femmes aux caractères sexuels exagérés (probablement créées d’un point de vue masculin). Des flûtes à trous dès -35.000, des masques en pierre, et finalement, plein de pots décorés et colorés.
À ce moment, il y a une image bien claire du néolithique pré-révolution. On est à peu près à la moitié du livre. La suite parle de la révolution en elle-même. Qui a inventé les chefs ? La servitude ? La guerre ? La domination masculine ? C’est pris pour un acquis aujourd’hui, mais ça a été “inventé” à une époque. Et on aurait tout aussi bien pû faire d’autres choix. D’ailleurs, certaines sociétés ont par moment décidé de revoir leur copie et retourner à des formes de vie plus simples. Les archéologues peuvent facilement le lire dans les tombes. Grandes tombes communes pour tous ? Ou quelques-un avec des tombes plus soignées ? Les exemples les plus connus étant les pyramides.
C’est vers -4500 que l’égalité supposée prend fin. Ca correspond d’ailleurs à la fin de l’expansion des agriculteurs vers l’ouest, bloqués par l’atlantique. Jean-Paul Demoule ne manque pas de citer des auteurs “récents” pour éveiller notre esprit. Étienne de La Boétie, ami de Montaigne, publie vers 1550 De la servitude volontaire qui cherche à comprendre pourquoi il y a des chefs qui restent en place. Du résumé de Demoule : Parce qu’on ne peut pas imaginer d’alternative Par des réseaux de dépendance, en redistribuant une partie du bénéfice à des agents qui ont pour rôle de maintenir le statu quo Par la religion, en tordant les croyances auparavant inoffensives en outil servant sa domination.
Plus récent, il cite Pierre Clastres, dans les années septante, avec La Société contre l’État. La thèse est simple : les sociétés égalitaires étaient la norme, et les sociétés hiérarchisées apparaissent quand les mécaniques de contrôle échouent. Je pense que ça peut être classé comme étant à contre-courant.
Ensuite, il y a l’argent. Homère parlait “d’équivalents-boeufs”. Ensuite, il y a eu les monnaies d’or, puis papier, puis digitales, et enfin décentralisées. C’est assez drôle mais on était arrivé à un système du genre avec mon grand-père. Pour éviter la complexité des calculs pour transformer des francs belges de 1965 et des euros de 2015 en prenant en compte le taux de change et l’inflation, on utilisait des “équivalents-bières”. Ainsi, combien de “prix typique qu’on paierait à un café populaire vallait ce bien ?” Papy louait son kot pour 120 bières et moi pour 150 bières. Tout de suite, on avait plus facile à se comprendre !
Demoule passe ensuite au sujet de la guerre. Il cite Hobbes et Le Léviathan qui voit l’Homme comme danger pour lui-même à l’état sauvage, nécessitant un bon souverain. Rousseau, lui, affirme plutôt que l’Homme est bon de nature. Ces deux conceptions du monde se reflètent dans nos régimes actuels. La vérité préhistorique ne nous éclaire pas complètement sur la question, et je doute qu’on aie un jour un consensus, encore moins de mon vivant.
Dans cette même lignée, celle de la violence, l’auteur aborde la domination masculine. Dans le plus grand respect et professionnalisme, il arrive à exposer ce que l’on sait, comment ça s’aligne avec le féminisme actuel, et ce qui ne colle pas. Je ne vais pas tenter de résumer ce chapitre, mais j’en tire quelques grands points. La domination masculine n’est pas une fatalité, elle est liée à la sexualité, aux craintes des hommes, au sang menstruel, et qu'aujourd'hui encore, la domination est réelle. Excisions, féminicides, violences sexuelles. Dans les deux derniers cas, encore très présents en France. Au final, assez semblable depuis le fond des temps.
Le livre finit sur les migrations et les nations. L’Homme a énormément migré, de tous temps. La notion de “Nation” par contre, n’existe que depuis 2-3 siècles. Demoule commence d’un point de vue archéologique, comme quoi il est compliqué de vraiment savoir comment les gens s'identifiaient même s’ils utilisaient les mêmes styles de poteries. Il prend l’exemple des gaulois qui n’étaient pas un peuple à part entière malgré la proximité culturelle.
C’était assez drôle à lire comme chapitre, car que je vois l’effort et le méthodisme du vulgarisateur scientifique pour expliqué que la notion de nation, de culture n’est pas si évidente. Par exemple, il rappelle que la France n’a eu ses frontières que récemment. Mais le sous-texte est évident. Combien de Bourguignons diront qu’ils ne sont pas Français ? De Corses ? De Bretons ? C’est d’autant plus drôle à lire en tant que Belge où nous n’avons pas la même langue nationale, et beaucoup on quand même une identité belge ! Certains n’en ont pas vraiment, mais encore une fois, ça montre que non, la nation n’est pas si évidente que ça. J’y ai aussi appris que la balkanisation était un choix conscient des grandes puissances de l’époque. Un peu de sang sur les mains quand même.
Demoule finit sur un regret, que je partage, sur une quasi-inexistence de la préhistoire à l’école. En France, elle est vue dans les grandes lignes de 6 à 10 ans, parfois avec des informations datées, et surtout, elle n’est pas revue par la suite une fois l’esprit d’analyse plus développé. Je finis ce résumé avec le dernier encart, à nouveau d’Étienne de La Boétie, qui figure à la fin du livre :
Le tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir [...]. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres [...]. Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.
Ce que j’ai apprécié
- J’ai choisi ce livre pour sa couverture, contre la sagesse commune. Mais une bonne maison d’édition saura trouver un artiste mettant bien en valeur le contenu sur celle-ci. C’est le cas ici, en capturant à la fois l’ancienneté des objets traités, mais aussi la modernité du regard apporté.
- La division en questions “Qui a inventé l’agriculture, les chefs, les cimetières, etc” et le langage choisi ont rendu la lecture très accessible. Je le recommanderais dès douze ans aux plus curieux.
- La présence de nombreuses représentations d’objets, de cartes, de schémas, facilitant encore l’imagination et la compréhension.
- Embrassant complètement son rôle ici de vulgarisateur, Demoule nous raconte une histoire remplie d’espoir : le refus de la fatalité, et comme quoi nous pouvons écrire nos propres mythes et notre propre destin. Ce fût ma plus grande surprise dans ce livre, et je ne peux pas transmettre tout l’impact que ça a sans transmettre ma copie physique du livre dans son intégralité
- Comme pour une fois, j’ai lu sur papier, je vais pouvoir confier ma copie, surlignée dans tous les sens, à un ami.
Ce qui m’a rebuté
- Il n’y peut rien, mais pour certaines question, on n’a pas de réponse définitive et on n’en aura peut-être jamais. Mince. La science avance quand même, mais sans texte ou de nombreux artefacts , on restera bloqués entre différentes hypothèses. Si on avait des réponses certaines, le livre serait probablement 30% plus court !
- J'aurais préféré un format poche pour justement… Le mettre en poche.
Quelques perles
Clausewitz : “La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens”
On ne saurait pas non plus oublier la violence interne aux sociétés. Depuis quelques décennies, “la guerre du tous contre tous”
“Qui a inventé la domination masculine ?”
Pascal Picq : “L’Homme est le seul singe migrateur”
Ernest Renan (sur le sentiment d’appartenance à une nation) : “Un plébiscite de tous les jours.”